Ceux qui ont aimé "La petite trotteuse" aimeront le nouveau roman de Michèle Lesbre: "Le Canapé rouge" distille la même petite musique, sonatine littéraire d'une prose à l'élégance rare, empreinte de mélancolie, éclairée de descriptions de paysages d'une beauté adamantine. Il n'est peut-être pas indifférent que la narratrice se prénomme à nouveau Anne, comme si l'auteur avait voulu jeter une passerelle d'un livre à l'autre, souligner une continuité. Et de fait, on retrouve avec plaisir les mêmes thèmes: une femme éprouve le besoin de s'arracher à son quotidien, voyage dans un train à travers la Russie pour retrouver un amour de jeunesse, et à travers les paysages et les chambres où elle ne fait que passer, plongée dans un temps de transit propice à la contemplation et à la méditation, laisse glisser en elle les souvenirs d'êtres aimés, de lectures, évoque sa rencontre avec Clémence, une voisine âgée avec laquelle elle se découvre de profondes affinités, et qui lui donne le courage de mieux affronter le passage à la vieillesse. Et peut-être aussi le courage d'affronter défintivement les rêves brisés par l'Histoire, et les rêves brisés de son histoire intime, étroitement entremêlés, afin de retrouver une conscience apaisée: "Nous cherchions avec entêtement l'impossible équilibre et courions à notre perte. Mais j'avais aimé et j'aimais encore la certitude qu'il n'y a pas de belles idées sans amour, sans liberté, et que nos efforts désespérés pour le prouver n'avaient pas été vains.C'était même tout ce qui nous animait. Au fond je n'y avais jamais renoncé, et ce qui me tourmentait, c'était l'impression que je ne savais plus être dans cette perpétuelle quête, c'était peut-être ça vieillir, ne plus chercher l'impossible équilibre." Au bout de son périple, Anne retrouve ces vers de Claude Roy, en parfaite résonance avec son être: "J'étais absent de moi plutôt nuage indécis, un passant pas très sûr d'être quelqu'un". Ou bien, en s'attachant à un voyageur, saisit-elle de secrètes analogies entre son destin personnel et celui du peuple russe: "il avait seulement répondu que depuis longtemps il vivait loin de tous les faux espoirs, que le passé ne l'intéressait plus et qu'il n'attendait rien des lendemains. J'avais reconnu dans ces mots tout ce qu'il m'avait semblé deviner dans certains regards et que je comprenais."
On songe parfois aux livres de Patrick Modiano, par cette manière d'évoquer les souvenirs, par petites touches, de les effleurer sans s'appesantir, comme une main ferait pour ne pas se poser sur des plaies encore ouvertes. Par ce tissage serré dans une même trame de l'Histoire et des histoires des individus, indissociablement mêlés. Par cet art subtil et discret de relier entre elles les bribes éparses de la narration, de créer des jeux d'échos et de correspondances entre les êtres et tout ce que la mémoire peut recueillir: paroles de chansons, citations littéraires, fragments de poésie. Par ce goût de l'errance, du vagabondage. Et l'on croit toucher aux mystères d'une écriture singulière, qui ne cherche pas à aviver les braises de souvenirs pathogènes. Comme une protection, un recul. Un art de l'effleurement, du renoncement presque, l'acceptation du passage, de l'éphémère. Un art du voyage.
Reviewed By A3UK9IU2XFQMRAOn songe parfois aux livres de Patrick Modiano, par cette manière d'évoquer les souvenirs, par petites touches, de les effleurer sans s'appesantir, comme une main ferait pour ne pas se poser sur des plaies encore ouvertes. Par ce tissage serré dans une même trame de l'Histoire et des histoires des individus, indissociablement mêlés. Par cet art subtil et discret de relier entre elles les bribes éparses de la narration, de créer des jeux d'échos et de correspondances entre les êtres et tout ce que la mémoire peut recueillir: paroles de chansons, citations littéraires, fragments de poésie. Par ce goût de l'errance, du vagabondage. Et l'on croit toucher aux mystères d'une écriture singulière, qui ne cherche pas à aviver les braises de souvenirs pathogènes. Comme une protection, un recul. Un art de l'effleurement, du renoncement presque, l'acceptation du passage, de l'éphémère. Un art du voyage.
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